Pas un mot dans l’entre-deux tours. Une brève allusion le soir de l’élection. C’est peu dire, Monsieur le Président, que vous avez donné le sentiment que la Culture était sortie du champ de vos priorités.
Elle y figurait en bonne place pourtant il y a cinq ans, je le sais de vous et n’ai pas oublié. Mais de ce point de vue, le quinquennat aura franchement déçu.
Quelques commentateurs trop pressés ont cru pouvoir affirmer que par votre réélection vous entriez dans l’histoire : Emmanuel Macron, premier président de la République réélu en dehors d’une période de cohabitation ! La belle affaire. Entre-t-on dans l’histoire par une porte aussi étroite ? Non, et vous le savez bien sûr.
On peut en revanche s’y faire une place par la Culture, comme en témoigne le destin de plusieurs de vos prédécesseurs. Je n’insiste pas sur le général de Gaulle, qui, bien sûr, n’avait pas besoin de ça pour être reçu. Mais il est notable que le fondateur de la Vè République sut innover sur ce terrain-là aussi en confiant à un André Malraux à peine assagi le ministère de la Culture premier du nom, une instance de gouvernement taillée à sa mesure. S’illustrèrent ensuite Georges Pompidou et Jacques Duhamel, Valéry Giscard d’Estaing et Michel Guy, François Mitterrand et Jack Lang, Jacques Chirac, enfin, un peu tout seul pour l’occasion.
Le peuple de France n’ oublie pas. Car ces noms sont associés aux Maisons de la Culture, à l’entrée de Jean Moulin au Panthéon, au grand ravalement de la Ville Lumière, à la création du Centre Beaubourg, au musée d’Orsay, au Grand Louvre, à la pyramide de Pei, à la loi sur le prix unique du livre, au soutien constant au théâtre et au spectacle vivant, au Musée Branly, et j’en passe. C’est en vertu de politiques volontaristes, sous l’impulsion de grands ministres, que la France des bâtisseurs a imposé sa marque dans le monde entier.
Depuis, il est vrai, la Culture a souffert d’être moins associée à l’idée de puissance. La globalisation y est sans doute pour quelque chose : moins de moyens, toujours plus de technocrates, priorité à la finance, l’économie d’abord. Non pas, d’ailleurs, que nos derniers présidents aient complètement négligé l’affaire. Mais ils ont donné le sentiment qu’en consacrant trop d’énergie à négocier avec les intérêts catégoriels et corporatistes, il ne leur restait plus assez de forces pour engager et soutenir des projets d’envergure.
Même sur le terrain de la politique au jour le jour l’essentiel semble avoir été perdu de vue. Comment, par exemple, avons-nous pu abandonner les acteurs de la chaîne audiovisuelle (producteurs, scénaristes, réalisateurs) à l’offensive des plateformes de streaming contre le droit d’auteur ? Est-ce à l’hégémonie d’une distribution dominée par les géants de la culture mainstream que nous entendons désormais travailler ?
Cinq ans, il est vrai, c’est court pour caler un programme ambitieux, et il est juste d’accorder aux deux premiers titulaires du quinquennat les circonstances atténuantes. Mais dix ans, c’est largement suffisant, n’est-ce pas ?
A condition de s’engager sans tarder dans la mise en œuvre d’un projet. Vous en avez le goût, je le sais, la qualité de vos discours mémoriels et commémoratifs en témoignent. Nous n’oublierons pas la fête somptueuse que vous avez réservée à Joséphine Baker, nous n’oublierons pas la qualité de vos interventions tout au long des cérémonies anniversaires des événements de la guerre d’Algérie : cette réconciliation des mémoires, vous aurez su l’installer au sommet de l’Etat avant de l’offrir en partage à la société tout entière avec l’aide de Benjamin Stora.
Mais alors, pourquoi n’être pas allé plus loin ? Pour le coup, les Gilets jaunes et la crise sanitaire ont bon dos : sur une absence de perspective, la conjoncture ne pèse pas. Ma crainte à moi, qui ai voté pour vous, serait que votre présidence soit marquée du double sceau d’une messe populaire faux chic à la Madeleine (Johnny Halliday) et d’ une chevauchée intempérante au Puy du Fou (cet entertainment à la française dont l’entrepreneur fut bien près de vous arracher une dérogation expresse au temps des contraintes sanitaires, pour la plus grande exaspération de votre premier ministre d’alors si je me souviens bien).
On parle de la possible entrée de Missak Manouchian au Panthéon. Magnifique idée. On pense aussi à deux autres résistants communistes, Lucie et Raymond Aubrac. Il est évident que leur entrée au Panthéon auprès du commissaire militaire des FTP-MOI témoignerait d’un engagement décisif en faveur des valeurs de la résistance et de la République, au nom de la fraternité universelle.
L’attente est vive, Monsieur le Président, et l’heure du choix est venue. Il vous revient de fixer le cap (européen pourquoi pas ?) pour les cinq années à venir et de nommer un ministre assez imaginatif et endurant pour ne pas le quitter des yeux.
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